Séparons-nous et redevenons
amis
Par Jules
Gazon, Professeur émérite,
HEC, Ecole de gestion de
l’Université de Liège.
Une
carte blanche refusée à la
publication. Comme Wallonie
2010 s'insurge contre la
censure belgicaine, nous
nous faisons un plaisir de
la publier !
Il y a 3 ans, les
responsables politiques
francophones s’opposaient à
toute réforme
institutionnelle n’étant
demandeurs de rien.
Aujourd’hui, ils sont prêts
à céder aux exigences
flamandes : transferts de
compétences et
responsabilisation
financière des entités
fédérées, abandon des
principales exigences
francophones sur BHV. Si
l’on devait conclure sur
cette base, on pourrait se
réjouir au moins d’une chose
: que Bart de Wever ait
exigé que « saine
gouvernance » aille de pair
avec « responsabilisation »,
qu’un « renouveau politique»
s’impose pour en finir avec
une représentation
pléthorique tout en
s’attaquant aux rentes de
situation que se sont
octroyées nos élus.
Quel sens donner à ce combat
répété d’élection en
élection pour sauver ce qui
justifie encore la
subsistance de l’Etat
-l’essentiel du lien
solidaire entre les Régions-
sachant que ce dernier
bastion sautera une
prochaine fois. Car, telle
est la volonté de 80% de
Flamands ! S’il est légitime
de vouloir sauver la
Belgique, encore faudrait-il
que celle qui s’annonce
conserve les attributs d’une
nation. L’a-t-elle jamais
été malgré les efforts des
historiens et des hommes
politiques ? Dès sa
création, très vite, les
nationalistes flamands ont
revendiqué leur propre
identité. Comment
pourrait-il en être
autrement ? La majorité des
Belges n’ont jamais vraiment
communiqué entre eux :
l’unilinguisme français dans
un premier temps, le
bilinguisme ensuite, ayant
échoué.
Dernière tentative, de plus
en plus relayée par les
média, mais caractéristique
stratégique du perdant :
rester dans le sillon d’une
Belgique pérenne feignant sa
survie parce que la
difficulté et le coût du
séparatisme seraient
supérieurs à celui déjà
exorbitant des négociations
à répétition. A se demander
si l’on défend l’intérêt
collectif ou des positions
personnelles ! Le cynisme
est à son comble quand, à ce
discours, s’ajoute la
reconnaissance sous le
manteau d’une mésentente
totale entre la majorité des
négociateurs flamands et
francophones. Preuve d’un
désarroi extrême : ceux-là
même qui défendent la
Belgique qui se meurt,
jouent les Cassandre
assimilant le séparatisme à
un mur opaque entre Flamands
et Francophones, qui, chacun
chez soi, ne pourraient être
qu’ennemis. Leur désamour
inavoué vis-à-vis de l’autre
communauté irait-il jusqu’à
vouloir empêcher qu’une fois
séparés, certes parce que
les Flamands l’auront voulu,
nous devenions amis? Si nous
le voulons, la fin de la
Belgique peut paradoxalement
sauver la belgitude dès lors
que celle-ci se perçoit
comme une façon d’être :
notre surréalisme belge,
notre sens de l’auto-dérision.
Divorçons à l’amiable en
prenant le temps, une ou
deux législatures s’il le
faut, avec l’objectif
déclaré de gérer les
modalités de la scission en
poursuivant la gestion du
socio-économique dans
l’intérêt commun. Nous
partagerons la dette dont la
charge respective ne sera
pas simple à définir. Mais
nous aurons l’intelligence
de ne pas prêter le flanc à
la spéculation
internationale. Nous
laisserons la dette
antérieure dans un pot
commun jusqu’à apurement,
vis-à-vis duquel nous nous
porterons débiteurs
solidaires. Il en sera de
même pour notre patrimoine
et nos richesses culturelles
que nous pourrons, suivant
le cas, maintenir sous usage
commun si tel est notre
intérêt, comme l’Europe le
promeut au travers des
coopérations
transfrontalières. Par
ailleurs, contrairement à
divers commentaires,
personne n’aura intérêt à
menacer les bienfaits
réciproques de
l’interdépendance économique
actuelle entre Régions. Ce
ne sont pas quelques
modifications de programme
informatique pour gérer nos
échanges comme cela se fait
pour les échanges
internationaux qui
pousseront les 2
entrepreneurs, qu’ils soient
flamands ou francophones, à
renoncer aux bénéfices que
leur procurent actuellement
leur implication commerciale
et leur investissement dans
la région voisine.
Sans développer ici les
aspects juridiques inhérents
tant aux délimitations
territoriales futures qu’à
la reconnaissance
internationale de nouveaux
Etats, il n’y aura pas de
problème majeur si la
scission du pays se fait à
l’amiable. Ce qui ne
signifie pas l’absence
d’avis oppositionnels de
certains Etats européens. De
même, le devenir
institutionnel de Bruxelles
et de sa périphérie fera
l’objet d’une négociation
ardue, dès lors que les
francophones, forts de la
volonté des Bruxellois,
s’opposeront à l’intégration
de la Région bruxelloise à
la Flandre sous quelque
forme que ce soit(i). Sans
aucun doute dans ce
contexte, il sera fait appel
à l’intervention de
Puissances internationales
et singulièrement
européennes. Mais, malgré
les velléités divergentes
qui se manifesteront, le fil
conducteur sera de laisser
la liberté de choix aux
habitants de Bruxelles et de
sa périphérie. Soulignons
toutefois que le projet
d’agglomération que
soutiennent diverses
analyses économiques, ne
doit pas être remis en cause
par le devenir
institutionnel de Bruxelles,
car on peut facilement
concevoir une agglomération
transfrontalière. Je
n’évoquerai pas l’avenir de
la Flandre, qui, reconnue au
plan international, pourra
prospérer comme elle
l’entend.
Quant à la Wallonie, si on
peut comprendre les
velléités indépendantistes,
il aurait fallu d’abord
qu’elle se soit redressée
depuis longtemps à travers
son taux d’emploi (II),
comme l’y invite justement
Johan Van de Lanotte, pour
qu’une indépendance soit
économiquement et
socialement soutenable. Une
union de la Wallonie et
Bruxelles est-elle possible
? Si conformément à diverses
publications officieuses,
les Bruxellois n’adhéraient
pas à cette option, les
Wallons devraient en prendre
acte rapidement et en tirer
toutes les conséquences en
se concentrant sur leur
intérêt propre. Inutile de
reproduire les problèmes de
la Belgique actuelle en
constituant par la scission,
un nouvel Etat composé de
deux Régions où le lien
solidaire serait à nouveau
remis en cause. Reste pour
la Wallonie, l’union à la
France, seule issue, si on
veut éviter le naufrage de
notre sécurité sociale et
une réduction drastique du
pouvoir d’achat des Wallons.
Mais les Wallons en France,
avec les Bruxellois s’ils le
souhaitent, sous des
modalités qui intègrent
l’essentiel de nos
spécificités comme
l’autorise la Constitution
française, auront à réviser
maints comportements de
gouvernance publique. Le
temps n’est-il pas venu d’un
appel à la France de la part
des Autorités wallonnes ?
(I) Ma « carte blanche » du
15 août 2010 non publiée,
mais largement diffusée sur
internet
(II) Le taux d’emploi est le
pourcentage de personnes qui
dans la tranche d’âge de 15
à 64 ans, ont un contrat
d’emploi à temps plein ou à
temps partiel.
Quelle que soit la
configuration
institutionnelle
post-scission, retenons que
Flamands, Wallons et
Bruxellois deviendront les
meilleurs intermédiaires
économiques et culturels les
uns pour les autres, en
raison d’une profonde
connaissance réciproque. Et
que nous nous parlerons
enfin sans complexe, ni
hostilité linguistique.
Séparés, nous redeviendrons
amis.