Il y a vingt ans:
L'avocat Christian Bouvier était poursuivi pour "
offense à la personne royale "
Une de nos amies nous rappelle cette
histoire lamentable, encore récente, en nous adressant
ces quelques mots et une copie d'article paru dans
le Nouvel Observateur. Nous devons la remercier pour ce
rappel d'une histoire pas très exemplaire de la justice
belge.
Voici l'hommage simple à un homme qui est
mort plusieurs fois...au moins, trois fois;
la première fois, parce qu'on l'a radié de
l'ordre des avocats, la seconde parce que
son corps est décédé, la troisième parce
qu'on ne trouve quasi plus trace de lui
alors qu'il fut mécène, républicain rebelle,
francophile éperdu et surtout libre dans sa
tête... sans doute surtout PARCE QUE il
était libre dans sa tête. Qu'il sache que
des personnes pensent encore à lui et
respectent ce qu'il a osé faire.
Copie: Article du Nouvel Observateur, du 1er
mars 1990.
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Belgique : le
bouffon du roi
- "Monsieur, votre règne touche à sa fin"
En réclamant l'abdication de Baudouin Ier, un homme
de robe iconoclaste sème la zizanie en plat pays.
C’est l'histoire d'un roturier d'origine wallonne qui
s'est mis dans la tête de
renverser' la famille royale de Belgique.
Comme
là-bas on le prend au sérieux, on le traite de fou. Et
comme l'histoire est drôle, elle ne fait rire personne.
Le lundi 26 décembre l'aube, Christian Bouvier, 45
ans, choisit sa plus belle plume pour écrire à son
souverain.
Cet avocat
namurois, fils d'une Normande et d'un gros fermier des
plaines de la
Hesbaye, a le cœur gros. Il vient de passer la nuit de
Noël avec son épouse et ses quatre grands fils devant
les images de la révolution roumaine retransmises en
direct par la chaîne VTM. A 20 heures, c'est la
traditionnelle allocution de S.M. Baudouin 1er, Albert,
Charles, Léopold, Axel, Marie, Gustave de Belgique.
Et là, le
sang de Christian Bouvier ne fait qu'un tour. Le
discours axé sur le thème de l'enfance ne contient pas
un mot de réconfort pour les insurgés de Bucarest.
L'avocat a
vraiment trop honte de son roi. Ce républicain forcené
n'en est pas, lui, à compter ses mots, encore moins à
une lettre près. En 1986, il avait déjà osé demander
Baudouin... d'abdiquer.
Cette
fois, il lui écrit: " Monsieur, Votre règne touche à
sa fin. Le temps où vous vous promeniez avec le "génie
des Carpates" est révolu... Cracher sur le Conducator ne
relève pas de l'impertinence, c'est un devoir. » |
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A trop
chercher des crosses aux puissants on les trouve. En
l'espace de quelque jours, un ciel noyé de crachin s'est
effondré sur la tête de Christian Bouvier, frondeur
certes, mais surtout bon Vivant, amateur de vins fins et
de peinture abstraite.
La
sentence est tombée début février. Le fauteur de
troubles est inculpé «d'offense à la personne du roi»
par le juge Guy Comeliau du parquet de Namur. Et doit se
soumettre à une expertise psychiatrique, en vue de
passer aux assises. Tous
ses amis, une grande partie de sa famille de hobereaux
de la Beauce namuroise l'ont lâché.
«Cette lettre ordurière ne peut être que l'acte d'un
fou. Il faut l'enfermer» dit un fonctionnaire du
ministère de la Justice. Pendant qu'au château de Laeken
le service de presse du roi se refuse à toute
déclaration.
Qui a
voulu faire taire le bavard du barreau de Namur ? Le
palais royal, la chancellerie ou bien tout simplement
les robes noires du Conseil de l'Ordre wallon, bien
décidées à se débarrasser de ce collègue indiscipliné et
par trop réputé pour ses prises de bec avec
l'administration régionale? On ne le saura probablement
jamais. Ni ce que pense «le roi triste» de ce
sujet à la truculente insolence.
«C'est une gaffe, une maladresse que le gouvernement va
probablement essayer d'étouffer», explique
Jean-François Pacco, journaliste à "l'Avenir", le grand
quotidien de tradition catholique et royaliste de Namur,
«Christian Bouvier a touché à la personne du roi,
transgressé un tabou inviolable de par la loi. Ici on
écrit au roi pour le plaindre, pour le féliciter, jamais
pour l'insulter. D'accord, l'allocution de Noël était un
peu gnangnan. Comme d'habitude. Mais imaginez que
Baudouin prenne part au débat sur l'avortement qui
divise actuellement le Parlement, son peuple ne
comprendrait pas. Alors, il fait l'impasse.»
Et la
presse, elle aussi, passe. Reclus sous la verrière du
loft qu'il s'est aménagé dans le quartier, à bordels du
vieux Namur, Christian Bouvier, le «cauchemar du
barreau belge», comme le nomme l'hebdomadaire satirique
«Pan», n'est pas si allumé qu'en haut lieu on aimerait
le faire croire.
Même s'il
passe son temps à commettre des impairs qui font jaser
la bourgeoisie catholique, monarchiste et
ultraconservatrice des rives de la Sambre. Comme de
trimbaler les dossiers de ses clients dans des sacs en
plastique de supérette sous les nobles lambris du
parquet de Namur. De plaider systématiquement en faveur
des mauvais payeurs, des victimes des compagnies
d'assurances, de tous les empêcheurs de juger en rond.
Pis,
d'assouvir des passions extrajudiciaires qui vont du
mécénat artistique à la restauration quatre étoiles, en
passant par la promotion immobilière. «C'est plus fort
que moi, dit-il en voilant son regard de chien Droopy,
je suis un hérétique. Je refuse de me laisser berner
comme l'ensemble de mes compatriotes par "Point de
vue-Images du monde", par l'image d'une monarchie
rassurante. Le pouvoir non législatif est indéfendable
sur le plan intellectuel.
Que peut
représenter le roi potiche d'un pays d'opérette face aux
grands chambardements qui menacent l'Europe ? Nous avons
besoin d'un pasteur, d'un véritable homme d'Etat, sinon
la Belgique sera rayée de la carte.
Christian
Bouvier ne baissera pas sa garde. Il est persuadé que
son procès sera celui de la royauté. A voir l'émotion
que suscite son pamphlet libertaire, il n'a Peut-être
pas tout à fait tort. Mais il risque de perdre sa robe.
Il vient successivement de demander l'asile politique à
François Mitterrand et une audience avec le roi Baudouin
où il compte se rendre avec un entonnoir sur la tête.
Ça ne
troublera pas l'immobilisme de base de ses compatriotes.
Flamands et Wallons se sont mis d'accord, une fois pour
toutes, en 1950, lors du référendum sur « la question
royale » pour conserver une monarchie constitutionnelle
depuis 1831. Ils ne laisseront pas un vaurien de
républicain réactiver un sujet définitivement proscrit
de leurs chamailleries légendaires.
«Je ne suis
pas un monarchiste convaincu», affirme le député
socialiste Robert Denison, «mais entre nous, le roi ne
dérange personne. Il faut faire avec. Si on devait élire
aujourd'hui un président de la République, il serait
quoi ? Flamand, bruxellois ou wallon ? Quel grabuge !»
Sylvie Véran - Le Nouvel observateur - notre époque Déjà à l'époque, un socialiste
défendait la monarchie, comme ce bon Di Rupo le fait si
souvent maintenant.
.Le socialisme a bien changé avec le temps,
par rapport ou Parti Ouvrier Belge (ndlr). |