Une légère pointe d'accent ardennais qui égaye
une langue châtiée, une mèche grise qui retombe
en désordre, des lunettes fumées posées sur le
bout du nez, une volonté vibrante de convaincre
: Paul-Henry Gendebien fait sourire, intrigue,
étonne, tant par son érudition que par sa
ténacité. "C'est un foutu casse-pieds, mais
quel talent !" concède l'un de ses anciens
adversaires politiques, du temps où il dirigeait
le Rassemblement wallon, une formation
régionaliste, dans les années 1970.
Depuis, celui que la presse conservatrice avait
baptisé le "Baron rouge", allusion à ses
lointaines origines aristocratiques et à ses
convictions "antisystème", a évolué et tiré un
trait définitif sur la Belgique de papa, celle
que ses ancêtres contribuèrent à fonder. Plus
personne ne songe à dire, comme à ses débuts,
qu'il est un "révolutionnaire incivique"
ou un "fédéraste". Maintenant que tout le
monde évoque ouvertement la possible fin de la
Belgique, ce septuagénaire retrouve une âme de
pionnier et l'ardeur du prêcheur.
Il parcourt sa Wallonie de long en large,
dénonce, mobilise, interpelle, se lamente du peu
d'écho que lui réservent les grands médias. Mais
au fond de lui, il se réjouit d'avoir renoué
avec la tradition familiale de l'engagement
politique en un moment déterminant.
Quatre de ses ancêtres participèrent à la
Constituante belge, qui accoucha de l'Etat
indépendant en 1830-1831. De tous, c'est sans
doute
Jean-François Gendebien
qu'il préfère. Esprit indépendant, sans nulle
trace d'opportunisme, fidèle à ses idées, comme
il aime à le décrire. Le père de Jean-François,
Alexandre, avait pour sa part négocié à Paris,
notamment avec La Fayette et le roi
Louis-Philippe lui-même, une réunion à la France
ou, au moins, l'accession d'un prince français
au trône de Bruxelles.
Ne lui dites pas qu'il reste ultraminoritaire.
Il s'en moque. Son parti, le Rassemblement
wallonie-France
(RWF), n'a pourtant réalisé que 1 % en Wallonie,
en 2004. Avec ses amis, il a pris l'habitude
d'être caricaturé. Mais il est convaincu que
l'interminable crise politique et
institutionnelle de la Belgique a eu pour effet
de convaincre de plus en plus de francophones.
Dans certains sondages récents, près de la
moitié des Wallons se sont dits favorables au
rattachement à la France. Une enquête a même
indiqué que 22 % d'entre eux voulaient désormais
la fin du royaume. Et des citoyens, fraîchement
convaincus, semblent désormais appuyer l'idée du
rattachement, parce qu'ils estiment simplement
qu'il ne faut pas offrir Bruxelles à la Flandre
ou à l'Europe. Dans les scénarios de M.
Gendebien, la région-capitale, généralement
présentée comme l'un des derniers freins
véritables à la séparation du nord et du sud de
la Belgique, serait donc offerte à Paris.
Voilà pour les bons sondages, ceux qui plaisent
aux réunionistes. D'autres démontrent, au
contraire, la volonté affirmée des francophones
de maintenir un pays, certes fédéralisé, mais
encore uni. Qu'importe. Pour Paul-Henry
Gendebien, le temps est venu de présenter au
peuple wallon, qui vivrait "en résidence
surveillée", une autre perspective que la
survie dans un Etat qui ne serait qu'un mythe,
un mauvais ménage, un intermédiaire médiocre
n'ayant jamais permis l'émergence d'une vraie
nation. Ensuite, les Bruxellois seront à leur
tour acquis à ces idées, estime le pape du
réunionisme.
Ce discours-là, il l'a réglé au quart de tour,
soir après soir, dans des salles municipales ou
des bistrots de village, parfois sur un plateau
de télévision. Il l'a testé auprès d'auditoires
souvent hostiles, parfois conquis. RWF, combien
de divisions ? Aucune, si l'on veut évoquer par
là les débats houleux qui agitent souvent les
groupuscules. Paul-Henry Gendebien s'impose à
ses troupes par sa force de conviction, son
passé au sein du Rassemblement wallon, des
Parlements belge et européen et, surtout, par le
rôle qu'il a joué à Paris en tant que délégué -
une sorte d'ambassadeur - de la Communauté
française de Belgique, l'organe politique qui
unit les Wallons et les Bruxellois francophones.
Divisions ? Le RWF n'en compte pas davantage si
l'on veut parler du nombre de ses militants.
Lors de ses sorties - derrière des bannières qui
affirment : "Wallonie, Bruxelles, régions de
France" -, ils ne sont que quelques
dizaines, professeurs, fonctionnaires ou
médecins, à étaler leurs convictions. Mais les
événements récents lui ont ramené de nouveaux
militants, "très convaincus", affirme le
RWF.
Il reste à savoir si, aujourd'hui, la France
voudrait d'un demi-royaume, dont celui-là même
qui voudrait le lui offrir concède qu'il manque
"de grandeur, d'efficacité, d'esprit
d'aventure". A en croire Paul-Henry
Gendebien et ses relais à Paris, la France
regarderait les choses "avec une grande
gravité". Le réunioniste se convainc que la
diplomatie est attentive et que, de toute façon,
l'opinion française est "plus audacieuse et
généreuse" que ses dirigeants. Qu'elle
accueillerait à bras ouverts ses cousins d'outre-Quiévrain.
Dans les scénarios très élaborés de M.
Gendebien, l'Europe non plus ne serait pas un
obstacle.
Quand il quitte ses interlocuteurs, un peu
épuisés, Paul-Henry Gendebien aime souvent à
citer une pensée : "Les grandes idées sont
d'abord partagées par un petit nombre."
C'est sa référence, non française. Elle est
signée Goethe.
Jean-Pierre Stroobants - article paru dans
Le Monde du 25 février 2009
http://www.lemonde.fr/europe/article/2009/02/24/paul-henry-gendebien-un-reve-de-france_1159704_3214.html#ens_id=1154445 |
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