Bien entendu, ceux qui ont été coresponsables de
cette situation, à savoir le MR, le PS et le
CDH, restent aux affaires, confortés par leurs
électeurs faussement mécontents, peut-être
résignés et de toute façon soumis à l'ordre
particratique établi.
Il n'y a donc
plus d'argent pour amortir les conséquences
sociales de la crise, pour lancer un plan de
réindustralisation, ou pour appliquer les
promesses répandues à tort et à travers pendant
la campagne électorale. A cet égard, si les
Écolos accèdent vraiment aux pouvoirs régionaux
et communautaires, leurs couleurs vertes
pâliront très vite, car la résistance de leurs
partenaires - sans compter l’indigence de leurs
moyens - les conduira sans tarder de déceptions
en déceptions.
Une autre vérité, douloureuse pour les
illusionnistes de la belgitude, c'est que le
camp nationaliste s'est renforcé en Flandre. Une
fois encore, la Flandre a voté « flamand » alors
que les électeurs wallons et bruxellois votaient
« belge », notamment en faveur d'un parti Ecolo
encore plus aveuglément et sommairement
belgicain que l'ancien PSC des années 1960-1970
!
Au parlement
flamand, près de 40% des élus sont ouvertement
séparatistes, mais il faut y ajouter une belle
collection de confédéralistes et autres
« souverainistes » plus ou moins honteux, plus
ou moins masqués.
Selon un déjà
vieux modèle, c’est naturellement le jeu
politique proprement flamand qui va déterminer
dans les mois à venir le cours chaotique de la
scène gouvernementale fédérale.
La nouvelle donne flamande devrait rapidement
démentir tous ceux qui avaient tablé sur la
crise et sur le blocage institutionnel pour
donner un confortable bois de rallonge à un Etat
belge à bout de souffle. Aujourd’hui, il est
clair que les contradictions du système fédéral
belge sont de moins en moins supportables et
qu'elles annoncent un automne orageux.
L’instabilité de l'édifice belge va se confirmer
de manière éclatante. Et les Wallons tout comme
les Bruxellois, plus que les Flamands,
souffriront de l'absence d'Etat, surtout en
période de crise. Le paradoxe veut qu'ils
s'accrochent désespérément à une Belgique qui
ressemble de plus en plus à un non-Etat, à une
non-société politique, à une tache sombre sur la
carte de l’Europe.
Plusieurs
facteurs se conjuguent pour nous permettre
d'annoncer un regain de l'instabilité et de la
tension au niveau fédéral:
1. Le
gouvernement Van Rompuy est encore plus
minoritaire, du côté flamand, qu’avant le 7
juin. Certes, le scrutin n'était pas fédéral et
le nombre de députés CDV et VLD qui soutiennent
le Premier ministre n'a pas changé. Il n'en
demeure pas moins que l'amaigrissement régional
du VLD affaiblira encore davantage le
conglomérat parlementaire incertain qui tient
lieu de majorité à M. Van Rompuy.
2. En région
flamande, l’éjection du VLD (libéraux flamands)
hors du gouvernement, et son remplacement par la
N-VA, constitue un cuisant échec pour le régime
belge et un échec personnel pour M. Van Rompuy
qui avait plaidé ardemment pour son maintien
dans l’équipe de Kris Peeters. C’est la
conséquence du poids politique croissant de la
N-VA, mais c'est aussi le résultat de la lutte
d'influence très dure qui oppose entre eux les
divers clans de la « famille » CD&V. La vieille
garde, représentée par Dehaene, Eyskens, Van
Rompuy, (sur laquelle comptaient les partis
francophones) devient minoritaire au sein du
parti de Mme Thyssen, derrière laquelle se
profile le trio Leterme-Van Deurzen-Vervoort. M.
Van Rompuy sera dès lors de moins en moins libre
de ses mouvements, pour autant qu'il bouge
encore.
3. Parallèlement,
c’est l'échec de la vieille garde de l'ancien
CVP, et très logiquement, on assiste à la montée
en puissance d'une aile moderniste, à la fois
intellectuelle et populaire, du mouvement
flamand. Elle se renforce. Son essor vient de la
conjonction objective entre la N-VA de Bart De
Wever (peut-être le futur numéro un en Flandre)
et une nouvelle génération de jeunes cadres et
de jeunes députés du CDV, manifestement séduits
par cette N-VA qui incarne simultanément un
projet national flamand ambitieux et une
rénovation décomplexée de la droite flamande. A
quoi s'ajoute un autre fait significatif : le
SP.A (socialistes flamands) semble s’être rangé
aux vues de son ministre régional Vandenbroucke,
un personnage suffisamment flamingant pour
n'éprouver aucune gêne à collaborer avec la N-VA
et le CD&V.
4. L'incurie
budgétaire dramatique dont s’est rendu coupable
la coalition fédérale précède une situation de
quasi-faillite pour les finances publiques
belges. Les régions wallonne et bruxelloise, de
même que la Communauté française, n’échapperont
plus à la disette permanente. Le moment venu -
et choisi par elle -, la Flandre ne se gênera
plus pour exiger une remise en question des lois
de financement des entités fédérées. Autrement
dit, les Wallons et les Bruxellois devront se
serrer la ceinture et durement.
Il y a six mois,
Kris Peeters réclamait déjà une telle révision
des lois de financement.
C'est un fait
nouveau de la plus haute importance : la Flandre
est en train de découvrir que ce n'est pas
seulement la Wallonie qui lui coûte cher, mais
que c'est l'Etat belge lui-même qui l’entraîne
dans une aventure financière inacceptable.
Décidément, ainsi
que l'avait pressenti le R.W.F.dès l'automne
2008, la crise ne sauvera pas l'Etat belge. Et
l'agitation « communautaire » ne sera pas
renvoyée aux oubliettes de l'Histoire, bien au
contraire !
Lassée et irritée par les atermoiements
francophones, la Flandre s'est orientée vers une
nouvelle stratégie. Avec l'appui de ce qu'on
appelle désormais la « doctrine Maddens » (du
nom de cet universitaire flamand de la
Katholieke Universiteit Leuven), le président de
la N-VA, Bart De Wever, estime qu'il faut
« affamer financièrement » Bruxelles et la
Wallonie afin de les « assouplir ». Il veut que
la Flandre aille de l'avant en tirant sur la
corde des compétences régionales actuelles et
développe, de facto, des instruments d'action
flamands, notamment dans le secteur de la
sécurité sociale. Dans le même temps, là Flandre
doit cesser, au moins provisoirement, de
réclamer une réforme de l'Etat. En effet ce sont
les Francophones, à bout de ressources, qui
viendront mendier et proposer, en échange d'un
refinancement (hypothétique), des abandons
politiques en faveur de la Flandre. Les Flamands
le savent : les Francophones ont déjà procédé
ainsi en 2001, lors des accords du Lambermont et
de la Saint-Polycarpe. Oui, les Flamands le
savent : le belgicisme intéressé et à courte vue
des partis francophones les amène
systématiquement à échanger de l'argent contre
des principes.
Cette nouvelle
stratégie flamande, que l’on pourrait qualifier
de stratégie de l'embuscade, va prendre à
contre-pied non seulement les partis
francophones, mais également le gouvernement
fédéral de M. Van Rompuy.
Il en résulte une
autre nouveauté : dorénavant, l’adversaire
numéro un du gouvernement fédéral pourrait bien
être le gouvernement flamand lui-même. Et plus
seulement l'un ou l'autre parti nationaliste. Si
cela se confirme, il s'agirait là d'un facteur
supplémentaire de déstabilisation du
gouvernement fédéral.
Tout ce qui précède n'empêchera nullement un
prochain épuisement des procédures
parlementaires dilatoires destinées à repousser
le dossier BHV. La Flandre a constaté
l'incroyable lâcheté des Francophones dans
l’affaire des trois bourgmestres non nommés.
Elle n'hésitera dès lors pas à replacer BHV au
centre de la polémique, à l'automne prochain.
Il n'est pas
interdit de penser qu'un passage en force au
Parlement fédéral, mis en œuvre par le camp
flamand, ne provoque un séisme majeur en 2010.
Il faut d'autant moins l'exclure qu'une
date-couperet est imprimée sur le calendrier
politique : à partir du 1er juillet
2010, et pendant, six mois, la Belgique devra
assumer la présidence de l'Union européenne.
Pendant cette période, toute crise intérieure
devra être bannie, sauf à renouveler la
détestable et récente expérience tchèque
(hypothèse qu'il ne faut absolument pas
écarter).
Les élections
fédérales sauf anticipation, sont fixées au
printemps 2011. La présidence européenne à
partir de juillet 2010 et le climat préélectoral
qui sévira au plus tard à partir de septembre de
la même année obligent dès lors le Gouvernement
Van Rompuy à boucler un « paquet
institutionnel » en une dizaine de mois. Mais la
paralysie fédérale et la nouvelle donne en
Flandre annoncent un raidissement du mouvement
flamand à l'égard du régime belge. D'autre part,
le désarroi visible et l'absence d'anticipation
dans le chef de nos partis wallo-bruxellois
n'augurent rien de bon quant à la défense de nos
intérêts.
Un retour aux
urnes fédérales avant juillet 2010 est loin
d’être exclu.
De toute manière,
c’est notre population qui paiera les
interminables soubresauts d'un Etat belge
suicidaire. Question : combien de temps
faudra-t-il pour que les électeurs comprennent
que la Belgique, pour eux, est devenue un Etat
impossible et nuisible ?
Paul-Henry Gendebien
Président du Rassemblement Wallonie-France
Article
paru sur le site officiel du RWF |
|