1.
La Wallonie doit élire son ministre-président
au suffrage universel direct à deux tours, selon
le modèle de la Cinquième République.
Le gouvernement wallon et son chef se verraient
ainsi conférer une vraie légitimité populaire et
une meilleure autorité pour affronter les
difficultés économiques. Leurs poids
augmenteraient dans les pourparlers qui mettront
un point final à la crise belge. Aujourd'hui, la
légitimité principale du ministre-président lui
vient de sa désignation par son chef de parti,
voire de son autoproclamation... Choisi par les
citoyens, il serait vraiment le porte-parole et
le garant des intérêts wallons. Il pourrait plus
aisément s'élever au-dessus des intérêts
partisans et locaux. L'élection directe
conduirait à un vrai débat sur les projets de
société et le programme du gouvernement. Elle
ouvrirait le jeu en permettant à un
non-socialiste, éventuellement, d'être élu.
Enfin, elle accoutumerait les Wallons aux
institutions de la France, dont ils relèveront
demain ou après-demain.
2. La Wallonie doit rénover
son mode de scrutin pour l'élection du Parlement
wallon.
Elle pourrait opter pour le système majoritaire
uninominal à deux tours. Soit l'élection des 75
députés régionaux dans 75 circonscriptions. Un
élu par territoire : cela signifie un élu plus
visible, plus responsable, que l'on pourra
sanctionner au scrutin suivant. Ce mode de
sélection subit moins l'influence des appareils
particratiques. Aujourd'hui, les partis
choisissent souvent leurs candidats en fonction
de critères tels que leur discipline présumée,
leur notoriété plus ou moins populiste, voire
leur hérédité familiale. Certes aucun système
électoral n'est parfait mais celui-ci favorise
incontestablement les candidats qui possèdent
une envergure suffisante pour s'imposer au
premier tour ou pour rassembler au-delà de leur
camp au deuxième tour. Elle donne une meilleure
chance de faire émerger une droite et une gauche
cohérentes et de parvenir à des alternances
gouvernementales dignes de ce nom.
3. La Wallonie doit pouvoir
organiser des référendums sur les très grandes
options politiques.
Promise depuis plus de 10 ans par les libéraux,
cette réforme ne sera jamais mise en œuvre au
niveau belge parce que le Palais royal, et les
partis chrétien et socialiste, n'en veulent à
aucun prix, échaudés par le « mauvais »
souvenir de la consultation populaire de 1950.
Quitte à en définir strictement les conditions,
la Wallonie doit décider elle-même de cette
réforme en s'inspirant des divers modèles
européens. Continuer à refuser ce progrès serait
faire preuve de méfiance excessive à l'égard du
peuple.
Au 19e siècle, le pouvoir n'acceptait pas le
suffrage universel parce qu'il craignait ceux
qui faisaient partie, disait-on, des « classes
dangereuses ». En 2006, les peuples sont-ils
toujours des classes dangereuses ?
4. Il faut réduire à cinq le
nombre de ministres de la Région wallonne, et
parmi eux nommer au moins deux femmes.
5. Les cabinets ministériels
seront supprimés et remplacés par des cellules
légères ne pouvant en aucun cas compter plus de
dix personnes.
6. Il sera désormais interdit
d'exercer une fonction ministérielle pendant
plus de deux législatures.
7. Prohibitio n de
tout cumul de mandats politiques.
8. Impossibilité de se faire
élire dans une Assemblée et de siéger dans une
autre.
9. La Wallonie doit installer
une Cour des comptes régionale en vue du
contrôle systématique des finances de la région,
des communes, des provinces, des intercommunales...
Cette Cour doit être constituée d'experts
totalement indépendants.
10. Pour la minorité
germanophone, il serait judicieux de créer une
circonscription électorale distincte
d'Eupen-Saint-Vith avec élection de deux députés
régionaux.
La Wallonie a tout intérêt à préserver ses
relations avec la minorité allemande, trait
d'union entre les mondes français et germanique.
Il en résultera aussi davantage de clarté et de
sérénité politiques dans l'arrondissement de
Verviers.
11. Il faut repolitiser - au
sens convenable du terme - les Wallons, à savoir
leur rendre de l'intérêt pour la politique, avec
l'aide de l'école, des associations, des médias.
La classe politique s'y emploiera elle-même en
se comportant de manière responsable. Pour
reconstituer le lien social, il importe de
rétablir un civisme actif. Et de prendre
conscience qu'il y a des interférences entre
l'individualisme, l'hédonisme, la brutalité de
la société. Enfin, il conviendra que les ASBL
subventionnées rendent des comptes précis quant
à l'usage des fonds publics mis à leur
disposition.
12. Une réforme de la RTBF.
La radio-télévision officielle est de moins en
moins un service public et de plus en plus un «
service au service du pouvoir ». Agent numéro un
du régime, c'est l'instrument de propagande
privilégié des partis traditionnels et des
gouvernements. C'est aussi une machine qui pour
l'essentiel se définit comme belgicaine,
monarchiste et non wallonne. C'est le temple du
politiquement conforme et du culturellement
correct. À terme, et en veillant à garantir les
droits du personnel, elle sera remplacée par
France 3 Wallonie et France 3 Bruxelles. Dans
l'immédiat, les mesures suivantes doivent être
décidées :
- suppression des
administrateurs nommés par les partis et
création d'un Conseil d'administration composé
de personnalités compétentes et de représentants
des milieux culturels et d'associations telles
que la Ligue des Familles ;
- remplacement de la deuxième
chaîne par un bouquet de chaînes wallonnes et
bruxelloises ;
- libération des télévisions
communautaires locales de la tutelle quasi
féodale des partis
- reconstitution d'un Conseil
supérieur de l'Audiovisuel véritablement
indépendant des partis.
13.
Un service
civil pour les jeunes entre 16 et 25 ans
(garçons et filles)
aiderait à « resocialiser » une jeunesse à
laquelle on ne propose le plus souvent que le
choix entre deux pistes : soit l'exclusion sans
espoir, soit la réussite matérielle et
individuelle à tout prix et dans un esprit de
compétition et de rivalité. Ce service civil
serait consacré à des activités encadrées telles
que : entretien de la nature et de
l'environnement de proximité, cours de
secourisme et apprentissage des institutions,
aide aux personnes âgées ou isolées, aide aux
services de lutte contre l'incendie, cours de
langue aux jeunes immigrés, encadrement des
adolescents,...
14.
Toute la société wallonne doit renouer avec les
valeurs de la citoyenneté, qu'on appelle valeurs
républicaines en France.
Elles devraient être chères au cœur des
Wallons puisqu'elles fondèrent leurs luttes
politiques et sociales depuis plus de deux
siècles. Elles sont positives et modernes. Elles
permettent de concilier la liberté et le progrès
social, les libertés et l'ordre public. Elles
fondent la sécurité comme un droit pour tous et
en particulier pour les plus fragiles dans la
société.
Ces valeurs sont :
- la priorité à l'intérêt général et à la
solidarité ; la nécessaire initiative des
individus ne peut devenir concurrence exacerbée
et inhumaine, les droits sociaux ne doivent pas
être alloués comme s'ils étaient des faveurs
clientélistes, tous les groupes et intérêts,
tous les âges de la vie doivent participer à la
solidarité générale en fonction de leurs
capacités et de leurs moyens;
- l'égalité de tous devant la loi, l'accès égal
aux fonctions publiques ;
- l'unité de la société contre les
particularismes de toutes espèces : c'est le
choix de l'intégration culturelle, et sociale
contre les communautarismes qui entretiennent
les différences et créent les ghettos ; la mise
en valeur des différences par leur juxtaposition
introduit le règne des clans, des « tribus » et
des quotas, menaçant la citoyenneté.
15. La Wallonie doit garantir
et approfondir la séparation des Églises et de
l'État.
Les choix philosophiques et religieux sont une
question privée et les pouvoirs publics doivent
respecter ce fait : c'est ce qu'on appelle la «
séparation des Églises et de l'État », dans
l'intérêt de tous. C'est la tolérance positive
ou la laïcité, par opposition à la guerre des
religions ou à la guerre scolaire pour motifs
religieux. La laïcité à la française, c'est la
garantie et la protection apportées par l'État
au libre exercice des cultes dans la sphère
privée. On peut aussi parler de neutralité
politique des religions et de neutralité
religieuse de l'État. C'est pourquoi il faut
avoir le courage de réglementer avec clarté le
port de signes religieux ostensibles et
provocants, dans les écoles, les hôpitaux, les
administrations... Une loi, ou un décret, est
donc nécessaire car le pouvoir politique ne peut
pas se défiler ni laisser aux établissements la
responsabilité de décider eux-mêmes en cette
matière. Les autorités feraient ainsi preuve de
lâcheté. À noter qu'il ne s'agit ici nullement
d'une quelconque discrimination à l'égard de
telle ou telle religion, ni d'un type
d'enseignement, ni d'un groupe humain. Au
contraire c'est un gage de bonne intégration,
d'égalité et de paix civile.
16. La démocratie
bruxelloise, elle aussi, a besoin de réformes.
Sans vouloir abolir le statut de région, il faut
remettre en cause le prétendu « modèle »
bruxellois. Ce modèle est aberrant:
Bruxelles
est gouvernée comme si elle était composée de
deux communautés d'importance numérique égale.
Et il est coûteux pour le contribuable du fait
de la multiplication invraisemblable des
institutions et des mandats qu'elle engendre.
Une simplification radicale
des institutions s'impose:
- une seule assemblée (au lieu de quatre si on
compte les commissions communautaires) ;
- réduction de moitié du nombre des députés
régionaux (89 actuellement) ;
- suppression de la double majorité et du droit
de veto ;
- fin du caractère obligatoire de la
quasi-parité au sein du gouvernement;
- remplacement de la commission communautaire
flamande par un organisme administratif;
- élection directe du ministre-président au
suffrage universel à deux tours.
Ce qui précède ne remet pas
en question l'existence d'une minorité flamande
à Bruxelles. Il faut reconnaître pleinement les
droits individuels des Bruxellois flamands à
utiliser le néerlandais dans leurs relations
avec l'administration et la justice, ainsi qu'à
bénéficier d'un enseignement à tous les niveaux
et d'une vie culturelle et sociale dans leur
langue. Ces droits pourront être garantis par un
accord de coopération avec la Flandre, fondé sur
le principe de l'égalité des parties, la
réciprocité et le bon voisinage.
Enfin, il va de soi que le
siège des institutions politiques de la Flandre
ne peut être fixé hors de son territoire. La
région flamande est donc invitée à rapatrier ce
siège en Flandre.
17. La réforme par
excellence, la plus nécessaire et la plus
difficile sans doute, est celle qui se produira
dans les mentalités :
il s'agit de rendre les Wallons plus critiques
et plus indépendants. Eux seuls peuvent y
parvenir. Tant qu'ils ne se décident pas, en
très grand nombre, à refuser le clientélisme
dégradant qui leur est imposé, leur région
conservera son image suspecte de république
bananière.
C'est dans les têtes, il faut
le répéter, que se produira l'inversion
culturelle.
Les Wallons devraient y
réfléchir à deux fois avant d'envoyer à leur
Parlement régional une majorité de chefs de
village, figures tantôt joviales et familières,
tantôt menaçantes et cyniques. Ils doivent
comprendre que sous l'apparente quiétude des
soirées boudin-compote ou des courses cyclistes,
quelque chose de diffus et de peu rassurant est
en train de ronger le meilleur des mondes,
quelque chose qui pourrait bien être la perte de
« l'ex-paradis belge », un chômage de masse
record qui ne serait plus compensé par des
allocations suffisantes.
Dans leur crainte de
l'abandon, les Wallons croient pouvoir soigner
la disparition de la Belgique par l'exigence de
plus de Belgique; mais ils ne saisissent pas que
cela reviendra à entretenir la maladie qui
afflige l'État. Car la Flandre a déjà résolu de
se passer de la Belgique. Quand les Wallons et
les Bruxellois s'emploient à préserver celle-ci,
ils risquent de vouloir maintenir en vie un État
qui n'a plus, du fait de sa majorité flamande,
la volonté de continuer son existence.
Wallons et Bruxellois, encore un effort : soyez
politiques avant d'être sentimentaux.
À vous la culture de la liberté et de la
responsabilité.
Paul-Henry Gendebien,
Belgique, le
dernier quart d’heure ?, Labor,
2006,
pp. 142-151
Article
paru sur le site officiel du RWF
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